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On le voit, Jarry n’a rien renié de ses principes d’obscurité, de sa volonté de ne pas être<br />

compris (du moins entièrement), mais il a déplacé celle-ci, du fait du procédé déployé ici qui<br />

consiste à exprimer une ironie totalement silencieuse, et l’a rendue encore plus problématique car<br />

invisible, imperceptible. Aussi peut-on légitimement se poser la question : pour qui Jarry écrivait-<br />

il ?<br />

Dans quelle mesure le fait de publier se confond-il paradoxalement (et le paradoxe se trouve<br />

ici accru par le fait que la publication advient sous une forme journalistique dans une revue à<br />

assez grand lectorat : l’on est très loin des tirages relativement confidentiels des Minutes ou de<br />

César-Antechrist) avec le désir, sinon de ne pas être lu, du moins de ne pas être compris totalement,<br />

c’est-à-dire de se refuser à la lecture, de se rétracter face au désir de compréhension qui occupe,<br />

de fait, tout lecteur (qui transforme justement l’individu en lecteur, c’est-à-dire en être venu<br />

s’enquérir d’une sémantique pour se l’approprier, pouvant bien évidemment demeurer,<br />

indépendamment de cet effort, sensible à la sensualité de la forme qui la contient), afin de ne pas<br />

perdre sa substance, de ne pas répandre son ipséité, afin de conserver, intacte, son idiosyncrasie,<br />

comme c’était le souci de Jarry dans ses premières années, de par les théories idéalistes et la quête<br />

d’un élitisme s’exprimant par un souci de toute-puissance lequel se décline suivant un mépris<br />

souverain de l’influence (né aussi de sa lecture de Lautréamont, comme l’a montré Sylvain-<br />

Christian David 1 ) qui ont porté son écriture, lui ont donné sa forme et sa nécessité ?<br />

« Ne pas être compris » continue ainsi d’être un objectif affiché paradoxalement dans le fait de<br />

publier sous une forme de grande clarté apparente (il ne s’agit plus du tout de perpétuer le<br />

principe édicté par Gourmont dans son compte rendu des Minutes en octobre 1894 2 , et développé<br />

par Jarry jusque dans Messaline, comme quoi « [u]ne œuvre d’art écrit se reconnaît à l’abondance<br />

des métaphores nouvelles ; toute métaphore nouvelle est obscure »), sous le jour d’un jeu ludique<br />

opéré avec le langage mais aussi avec l’érudition, et ce sous la forme apparente du développement<br />

d’un paradoxe dans un cadre culturel éminemment socialisé, au sein des pages d’une revue à large<br />

lectorat, et ainsi dans la légèreté qui pourrait être celle d’une conversation entre gens cultivés (telle<br />

celle qu’a relatée Jarry au début du Surmâle – il y a comme une forme d’aller-retour instauré par<br />

Jarry entre le commencement de ce « roman moderne » et la spéculation que renferme ce compte<br />

rendu de l’ouvrage de Dubois-Desaulle, étant donné le fait que celui-ci est publié dans La Revue<br />

blanche, revue élitiste, aristocratique, en lien notamment avec le monde de la finance), mais en<br />

réalité sous une forme antiphrastique absolument (ainsi que nous l’avons montré) indiscernable<br />

(et de ce fait dans le secret d’une existence qui n’a réalité que pour son auteur et qui, quand bien<br />

1 Voir Sylvain-Christian David, Alfred Jarry, le secret des origines, préface d’Annie Le Brun, Presses<br />

universitaires de France, collection Perspectives critiques, 2003.<br />

2 Voir Le Mercure de France, n° 57-60, tome XII, septembre-décembre 1894, p. 177.<br />

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