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précisément les réalités qui sont de l’ordre de l’indéfinissable (ou du définissable uniquement au moyen<br />

d’abstractions 1 : pour décrire le réel, Jarry ne se sert que de réel, et non de concepts, fussent-ils<br />

ancrés dans le réel).<br />

Il décrit une carafe dont la matière (l’or) est amincie « jusqu’à la longueur d’onde de la lumière<br />

verte… 2 » (Faustroll), ce qui est une façon de donner corps à l’invisible, et, dans le même élan, de<br />

rendre celui-ci apparent (le liquide épouse les formes de la carafe).<br />

Ce faisant, Jarry donne écho à sa lecture d’un passage des Conférences scientifiques de Lord<br />

Kelvin dont le caractère merveilleux, très loin de la rationalité scientifique, a emporté son<br />

adhésion : « Quand l’épaisseur des métaux solides devient très inférieure à une longueur<br />

d’ondulation, ils deviennent transparents. [...] [V]oici une feuille d’or […] qui est transparente<br />

pour la lumière électrique, et laisse passer la belle couleur verte que vous voyez sur l’écran.<br />

L’épaisseur de cette feuille d’or (1,9 ou près de 2 x 10 -5 centimètres) est juste égale à la demi-<br />

longueur d’onde de la lumière violette dans l’air. Cette feuille d’or, en même temps qu’elle<br />

transmet la lumière verte qui vient frapper l’écran, réfléchit vers le plafond, comme vous le voyez,<br />

de la lumière jaune. 3 »<br />

Dans Faustroll, l’écrit devient un microscope braqué sur le réel tenu à la disposition du lecteur,<br />

mais qui, au lieu d’en accentuer les contours, les brouille un peu plus.<br />

En somme, Jarry, habitant d’un monde contaminé (conquis) par la science (qui finit tout à<br />

fait, à la fin du dix-neuvième siècle, par se confondre avec l’image que l’on s’en fait, autrement dit<br />

avec les valeurs qu’elle incarne 4 ), fasciné par elle pour ce qu’elle regorge d’étrangeté,<br />

d’intraduisible dans la littérature, d’irréductible, l’utilise en poète 5 (comme avant lui Lautréamont 6 ),<br />

s’en sert pour accentuer l’obscur qu’elle projette dans la conscience du néophyte qui la croise :<br />

1<br />

Or, il faut « reconnaître l’inconsistance de l’accouplement d’un nom abstrait, toujours vide, à<br />

une vision toujours personnelle et rigoureusement personnelle. » (Valéry, Introduction à la méthode de<br />

Léonard de Vinci, op. cit., p. 68).<br />

2<br />

Bouquin, p. 513.<br />

3<br />

Sir William Thomson (Lord Kelvin), Conférences scientifiques et allocutions traduites et annotées sur la<br />

deuxième édition par P. Lugol, avec des extraits de mémoires récents de Sir W. Thomson et quelques notes par M.<br />

Brillouin, Constitution de la Matière, Gauthier-Villars et fils, 1893, p. 116.<br />

4<br />

Aux yeux de la foule conduite par ce clergé particulier aux yeux de certains auteurs fin-de-siècle<br />

qu’est la communauté scientifique.<br />

5<br />

Aussi ne sommes-nous pas d’accord avec David qui écrit que « pour Jarry, les mathématiques<br />

sont l’expression symbolique et métaphorique d’une connaissance scientifique » (David, Alfred Jarry et l’art<br />

pictural de son temps, mémoire de maîtrise sous la direction de Jean-Luc Steinmetz, Rennes, 1980, p.<br />

70).<br />

6<br />

Voir Jean-Luc Steinmetz, « Isidore Ducasse et le langage des sciences », La Licorne, n° 57,<br />

« Lautréamont, retour au texte », textes réunis et présentés par Henri Scepi et Jean-Luc Steinmetz,<br />

Poitiers / Rennes, Maison des sciences de l’homme et de la société / Presses universitaires de<br />

Rennes, 2001, p. 151-165.<br />

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