30.06.2013 Views

thèse

thèse

thèse

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

En effet, cette pratique, qui n’est en rien anodine, agrandit chaque texte critique la déployant<br />

d’une théorie propre à l’auteur du Surmâle, qui permet d’éclairer l’ensemble de son œuvre et qui,<br />

entrant en dialogue avec elle, la nourrit, la revivifie sans cesse.<br />

Cette pratique ne résulte nullement d’un souci qu’aurait eu Jarry de rédiger avec rapidité des<br />

textes dans un but uniquement alimentaire, les comptes rendus lui permettant, avec les<br />

chroniques qu’il publie au même moment, de survivre.<br />

Par elle, Jarry prend radicalement le contre-pied de ce qu’écrira des décennies plus tard Jean<br />

Starobinski, et qui avait déjà cours avec vigueur à l’époque de l’auteur d’Ubu Roi : « La critique<br />

n’est pas la représentation fidèle d’une œuvre, son redoublement dans un miroir plus ou moins<br />

limpide. Toute critique, après avoir su reconnaître l’altérité de l’être ou de l’objet vers lesquels<br />

elle se tourne, sait développer à ce sujet une réflexion autonome et trouve pour l’exprimer un<br />

langage qui marque avec vigueur sa différence. 1 »<br />

Par elle, Jarry proclame l’effacement complet de la présence du critique en ce qui concerne<br />

les ouvrages contemporains.<br />

Si la « dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau 2 », Jarry<br />

ne dissèque « point les auteurs vivants », laissant « s’ajouter » en eux « cette autre grandeur de<br />

n’avoir point fini 3 ». L’auteur de Messaline, éprouvant cette défiance que partagent beaucoup de<br />

ses pairs envers l’exégèse, ou le simple commentaire, « [l]’œuvre [étant] active supériorité sur<br />

l’audition passive 4 », pousse « l’objectivité qui fait le vrai critique 5 » – selon le mot de Remy de<br />

Gourmont – à son paroxysme, à ce point où l’identité du critique sait s’effacer pour laisser<br />

poindre, vivace, le propos de l’auteur.<br />

La critique trouve ainsi, paradoxalement, se cristallisant, son chemin hors d’elle-même,<br />

autrement dit est l’inverse de ce qu’elle devrait être en toute logique, puisque toute critique est,<br />

pour reprendre la formulation de Barthes, un « discours sur un discours : c’est un langage second,<br />

ou méta-langage qui s’exerce sur un langage premier. 6 »<br />

Ce faisant, Jarry pousse le lecteur attentif qui ira découvrir les livres dont il parle à<br />

s’interroger sur l’identité de l’énonciateur. Qui est l’auteur ? Qu’est-ce qu’un auteur ? Jarry<br />

1<br />

Jean Starobinski, « La littérature. Le texte et l’interprète », Faire de l’histoire, volume 2, Gallimard,<br />

1974, p. 174.<br />

2<br />

Les Minutes du sable mémorial (voir Bouquin, p. 11).<br />

3<br />

Alfred Jarry, « Ce que c’est que les ténèbres », La Chandelle Verte, lumières sur les choses de ce temps,<br />

édition établie et présentée par Maurice Saillet, Le livre de poche, 1969, p. 294.<br />

4<br />

Les Minutes du sable mémorial (voir Bouquin, p. 12).<br />

5<br />

Le Mercure de France, n° 29-32, tome V, mai-août 1892, p. 360.<br />

6<br />

Roland Barthes, « Qu’est-ce que la critique ? », Essais critiques, Seuil, 1964, p. 255.<br />

1198

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!